Le récit de ma visite au camp d’Auschwitz – Camille Lachal

Bien renseignée sur le sujet, j’allais au camp d’Auschwitz dans l’optique de voir, de comprendre et de mesurer l’horreur du crime. Cependant à peine quelque minutes à mon arrivée, j’ai vite compris que cela n’allait pas être chose facile.

Passé le portail « Arbeit macht frei », nous voilà entrés dans ce lieu dont nous entendons tant parler. Ses trois mots que nous avons tous vu au moins une fois dans nos livres d’histoire, nous les voyons de nos propres yeux. Le cynisme de cette inscription nous serre le cœur.
Cet endroit, aujourd’hui lieu de mémoire avant tout, a été le témoin de la souffrance de milliers d’Hommes, dépouillés de leurs biens, de leur identité et de leur dignité.
Ces rangées de blocs de briques rouges et ces allées ornées d’arbres semblent aujourd’hui bien paisible, malgré la foule qui s’y entasse. En marchant dans ces allées, je m’imagine les gens qui y circulaient autrefois et je tente de me projeter plus de 70 ans en arrière. L’endroit a du bien changer depuis, tout du moins son atmosphère, mais avant tout, sa fonction. Car l’endroit où nous marchons aujourd’hui est bien le camp de travail forcé et de concentration investi par les allemands en 1940. C’est ici que l’on a laissé mourir des milliers d’hommes, au nom de ce qu’ils étaient. Ce sont ceux qui dérangent, ceux que le régime nazi juge dangereux, résistants, intellectuels, hommes politiques, prisonniers de guerre soviétiques, « sous-hommes » polonais, « race inférieure » juive, et « éléments asociaux » tziganes, handicapés mentaux et homosexuels … On les a exploités, aussi bien comme main d’œuvre gratuite que comme cobayes d’expériences douteuses et inhumaines. On les a épuisés à la tâche, on les a laissés mourir comme un simple bétail en captivité. On les a torturé, physiquement et mentalement, au nom d’une utopie malsaine. Marcher dans ces lieux donnent froid dans le dos, mais c’est aussi l’occasion de rendre hommage à ces milliers et milliers de personnes qui ont tant souffert.

Une fois entrés dans les blocs, qui servent aujourd’hui de musée, nous prenons connaissance de nombreuses informations que nous nous empressons tous d’assimiler, tant l’horreur est saisissante. Des chiffres, des noms nous sont donnés, des images nous sont montrées. Tout est révoltant. Nous arrivons dans une grande salle avec d’immenses vitrines. Là, plusieurs tonnes de cheveux y sont exposées. Je détourne le regard, la gorge nouée. Notre guide nous explique que des commandes de cheveux étaient passées entre de grandes entreprises et les camps de concentration. Encore une fois, révoltant. Nous pénétrons dans la pièce suivante. Cette fois-ci ce sont plusieurs centaines de valises qui nous accueillent. Toutes sont marquées du nom de leur propriétaire. Pièce suivante, des centaines et des centaines de chaussures s’entassent jusqu’au plafond de chaque côté de la pièce. Notre guide nous explique : « Cela correspond à cinq jours d’exécution ». Le spectacle devant nos yeux était déjà glaçant, une fois ces mots prononcés, cela nous semble désormais irréel. Nous voyons ensuite une piscine de casseroles, un amas de lunettes, des vêtements d’enfants… Pendant que nous sortons du bloc, le cœur serré, notre guide nous apprend que tous ces objets étaient volés aux juifs à leur arrivée au camp et étaient conservés dans de grands dépôts à Auschwitz-Birkenau  appelés « Kanada ». Certains objets, quand ils avaient de la valeur et étaient en bon état, étaient expédiés et revendus dans le IIIe Reich ou servaient d’étrennes aux personnels d’état nazis. Notre guide nous explique aussi qu’on ne disait pas aux déportés qu’ils étaient ici pour mourir. On leur promettait un faux travail en dehors du camps ou on leur disait qu’il s’agissait juste d’une étape et qu’ils allaient bientôt être déportés dans un autre endroit. Certains devaient payer le voyage jusqu’aux camps. Quel sadisme !

Nous continuons notre visite dans le Block 11 ou Block de la Mort. Il s’agissait de la prison du camp, où les déportés étaient punis et torturés. On y trouve de nombreuses cellules, certaines sans fenêtres, si petites et si étroites que les détenus devaient y rentrer à quatre pattes et, une fois à l’intérieur, étaient dans l’incapacité de s’asseoir ou s’allonger. Ce block a accueilli de nombreuses expériences. C’est ici que l’on a développé l’extermination de masse au zyklon B au travers d’expériences sur des prisonniers de guerre soviétiques. C’est également ici que des femmes juives servirent de cobayes pour des expériences de stérilisation. Ce bloc a été témoin des différentes expérimentations du fameux docteur Mengele, s’intéressant tout particulièrement aux enfants jumeaux. Tant de choses inhumaines se sont déroulées dans ce block … A l’extérieur de ce bâtiment, entre les blocks 10 et 11, se trouve le « mur de la mort » où étaient exécutés des milliers de détenus. Dans cette cour se trouvent également deux potences, utilisées dans le cas de punitions aussi arbitraires qu’absurdes. Notre guide nous raconte, par exemple, que des déportés y étaient pendus par le cou, les mains attachées avec des barbelés car punis pour cause de « mauvaise hygiène ». Ceux qui survivaient s’en sortaient avec les deux épaules déboîtées tant leurs liens étaient serrés. Ils étaient alors amenés à « l’infirmerie »… Les fenêtres du block 10 sont condamnées de telle façon que les résidents de ce block ne voient pas ce qu’il se passe juste à côté. Cette visite est particulièrement glaçante. Ce block révèle le sadisme et la folie des bourreaux.

La deuxième partie de notre visite se déroule à Auschwitz-Birkenau. Cette partie du camp, comparée à celle que nous venons de visiter revêt, elle, une fonction exterminatrice. Il n’est plus question de travail forcé mais bien d’extermination de masse, décidée de le cadre de la mise en place de la « Solution finale », c’est à dire l’extermination de tous les juifs d’Europe. Ce camp-ci est beaucoup plus grand, 170 hectares, nous informe notre guide. Nous arrivons par les rails, les mêmes qui quelques décennies plus tôt ont conduit plus d’un million de personnes à la Mort. Au moment où nous atteignons la gare, un groupe de jeunes israéliennes sortent du camp, leur drapeau sur les épaules. Elles se donnent la main et chantent dans une langue qui m’est inconnue. En cercle, toujours main dans la main, elles continuent de chanter. Nous les regardons tous, quelque peu émus et compatissants. Passée l’entrée, nous avons vue sur tout le camp. Nous voilà replongés dans le passé. Un wagon à bestiaux, retrouvé après la guerre, nous est montré. Il est difficile de s’imaginer les conditions des voyages des déportés dans ces wagons sans fenêtres, sans toilettes où ils étaient tous tellement entassés qu’il était même impossible de s’asseoir. Beaucoup mourraient avant même d’arriver au camp dans ces voyages interminables. A l’arrivée, à peine sortis des wagons, les déportés devaient subir la « selektion ». Dans une première rangée sont placés les personnes âgées, les malades, les femmes enceintes et les enfants qui iront tout droit dans les chambres à gaz, situées au bout des rails. Dans une seconde rangée sont placées les personnes aptes au travail, hommes et femmes de plus de quinze ans qui seront répartis dans des groupes de travail appelés « Kommandos ». Sur le quai, un kommando spécial, chargé de récupérer les valises des nouveaux arrivants tentent parfois, au péril de leur vie, de sauver les déportés. Ils leur disent de mentir sur leur âge, de se pincer les joues pour avoir l’air en bonne santé, tout cela dans le but de « réussir » la selektion.

Ceux qui sont sélectionnes sont conduits au « sauna » où ils sont déshabillés, dépossédés de leurs biens et papiers d’identité, lavés puis tondus. Ils en ressortent alors déshumanisés et leur identité personnelle se limite à un matricule, tatoué sur le bras, la cuisse ou le torse qu’ils doivent alors apprendre en allemand.  C’est tout un processus d’aliénation physique et mentale qui est mis en place par les nazis. Comment peut-on traiter des Hommes de cette façon ?

A notre gauche se trouve les camps des femmes, constitué de « barracks » en briques rouges, construites par les prisonniers de guerre soviétiques avec les briques des maisons des villages polonais détruits pour la construction du camp. A notre droite, des barracks en bois, anciennes écuries, constituent le camp des hommes. Certaines ont été conservées pour nous, visiteurs, afin que nous nous rendions compte des conditions de vie des déportés. A l’intérieur, il y fait encore plus froid que dehors tant le bois retient l’humidité et tant les courants d’air y sont nombreux. Nous plongeons tous encore une fois dans nos pensées. Comment peut-on imaginer laisser vivre des Hommes dans de telles conditions ? Il y a-t-il quoique ce soit qui puisse justifier une telle inhumanité ? Comment une idéologie peut-elle être aussi meurtrière ? Notre visite dans cette partie du camp est  rythmée par de nombreux récits, la survie dans les camps, la faim terrible, le froid persistant et la peur, l’horreur que les déportés ressentaient tous si fort. Tous ces hommes et femmes aux allures de cadavres. Des noms sont cités, je ne m’en souviens plus mais leur histoire m’ont marquée. Comme celle d’un évadé du camp, secouru par un couple qui se promenait non loin, et devenu plus tard un acteur très connu pour son rôle de SS dans une série polonaise.  Notre guide nous explique également que les nazis faisaient tout pour cacher l’existence des camps d’extermination. Ils faisaient donc tout pour faire passer le camp d’Auschwitz-Birkenau pour une simple camp de concentration. Pour cela, il y avait une partie du camps, où des familles tchécoslovaques étaient regroupées. Leurs conditions de vie étaient différentes de celles des autres, ils disposaient même de balançoires et de bacs à sable. Cette partie du camp servait de vitrine pour les visiteurs extérieurs, afin que l’existence des camps de la mort ne soit pas révélée à l’opinion publique internationale. C’est ce qui explique la destruction des chambres à gaz et crématoriums par les nazis à la libération des camps.

C’est d’ailleurs par ceux-ci que nous terminons notre visite d’Auschwitz. Il ne reste presque rien de ces instruments de mise à mort. Nous pouvons cependant distinguer les pièces souterraines. Nous voyons les marches par lesquelles les déportés descendaient dans la salle de déshabillage ainsi que cette dernière et nous pouvons voir la chambre à gaz elle-même. Il est vraiment difficile de se représenter une telle horreur, une telle irrationalité. Cependant tout est réfléchi et pensé, autant du point de vue économique qu’au point de vue logistique. Le meurtre était devenu rapide, facile et peu coûteux. Notre guide nous parle des « sonderkommandos ». Ce sont des unités de travail constituées de déportés, juifs pour la plupart, choisis par les SS dès leur arrivée au camp. Ils vivaient séparés des autres afin de ne jamais répéter ce qu’ils voyaient. En effet, ils étaient chargés d’accompagner les victimes jusqu’aux chambres à gaz. Ils étaient ensuite tenus d’en retirer les corps, de raser les cheveux des femmes, de retirer les bijoux et les dents en or des cadavres. En 44, à Auschwitz-Birkenau il y eut une révolte du sonderkommando du crématorium IV. La révolte fut un échec totale, plus de 400 déportés y perdirent la vie et le crématorium IV fut détruit.

Nous visite se clôture par une question : « Mais les nazis, étaient-ils fous ? ». Notre guide répond alors que très peu d’entre eux étaient réellement fous, mais que « les assassins ne se sentaient plus assassins mais juste désinfecteurs du monde ».

Ainsi, entre 1940 et 1945, au moins 1 300 000 personnes furent déportés à Auschwitz, dont 1 100 000 juifs et 150 000 polonais. Parmi toutes ces personnes 1 100 000 moururent à Auschwitz, approximativement 90% de ces victimes étaient juives. Les SS ont assassinés la majorité d’entre eux dans les chambres à gaz.

Il est de notre devoir de faire en sorte que cela ne se reproduise jamais. Il est de notre de devoir de faire en sorte que le génie ne soit plus jamais mis au service du mal. Nous ne devons pas laissé nos a priori dicter notre conduite. Quelle que soit notre colère, nos frustrations, nos ressentiments ne doivent pas retomber sur une communauté. Nous nous devons de respecter la mémoire des victimes du nazisme.

Il est de notre devoir de ne jamais oublier.

Je n’oublierai jamais ce voyage.

Camille Lachal

8 réflexions sur « Le récit de ma visite au camp d’Auschwitz – Camille Lachal »

  1. Pour ceux qui comme moi ne sont pas allés à Auschwitz ce texte a la valeur d’une visite guidée, avec une précision des détails impressionnante. Le mot « block » me fait rebondir sur l’action courageuse de la Française Anne-Marie Epaud, incarcérée au « block » 26, et qui a payé de sa vie en apportant un verre de tisane à une Juive du « block » 25, mourant de soif. Comme elle, elle a été condamnée à l’extermination… Elle a été reconnue, sur témoignages, Juste parmi les Nations. Dans la bestialité d’Auschwitz certains et certaines comme Anne-Marie Epaud ont revalorisé la dignité humaine. Ce qui doit encore nous servir d’exemple aujourd’hui dans ces temps troublés.

  2. Camille, Je te félicite pour ce reportage, j’ai été très émue . Tu seras pour nous, « les enfants » des déportés, un relai formidable. En lisant ton texte je revoyais le pèlerinage d’Auschwitz que j’ai découvert un hiver il y a quelques années, puis Mauthausen dont je t’ai parlé, mon prochain pèlerinage sera Ravensbrück. Tous ces camps ont été fabriqués sur le même modèle avec les mêmes bourreaux dépendants d’un monstre…
    Merci, d’avoir tout compris dans cette histoire lointaine. A bientôt. Mady

  3. Au nom de religions, de races, de couleurs de peau ou de tous autres prétextes idéologiques, de l’Antiquité à nos jours, des hommes ont persécuté et massacré d’autres hommes…
    Les Nazis ne sont hélas pas les seuls à s’être livrés à de telles abominations….
    Prenons garde, l’actualité nous montre que de tels faits se manifestent encore de nos jours…

  4. J’ai eu l’impression d’effectuer la visite en te lisant et certaines images de reportages me sont apparues à l’identique de ce que tu as pu décrire.
    Cette prise de conscience du réel doit à présent te permettre d’évoluer et de mieux assimiler le monde d’aujourd’hui.Ne te contente pas uniquement d’une réaction émotionnelle mais vas au delà pour construire ta future vie d’adulte (très proche) dans un monde en constante ébullition.
    Bravo et félicitations

  5. Merci pour cet article, d’une grande précision et extrêmement sensible. A travers tes phrases, tes mots, je retrouve beaucoup de ce que j’ai pu ressentir lors de cette journée.

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