Pour la plupart d’entre nous, la Grande Guerre a permis l’émancipation des femmes. Cependant, nous n’avons retenu de celles-ci que les figures les plus emblématiques de cette guerre, à savoir, les « munitionnettes » nom désignant les femmes travaillant dans les usines- les infirmières qui soignaient les soldats sur le front et les marraines de guerre, ces femmes qui envoyaient des lettres aux soldats présents sur le front, coupés de leur famille. Néanmoins, les femmes ne se sont pas limitées à ces quelques symboles. Il convient de nuancer ce propos car il est tout de même justifié de penser à ces figures.
De plus, certaines figures féminines symboliques de cette guerre ont subsisté dans nos mémoires telles que Mata Hari, même si cette personne a été « idéalisée » après la guerre par de nombreuses productions cinématographiques telles que « Mata Hari, agent H21 ». On peut raisonnablement se demander quelle a été la vraie place de la femme durant ce conflit.
Les femmes ont tenu différents postes sur le front mais la plupart étaient infirmières. Ainsi, celles-ci, aux côtés des médecins, ont tenu un grand rôle dans les soins apportés aux soldats. Il existe plusieurs types d’infirmières durant la guerre : les infirmières de métier, les infirmières temporaires mobilisées dans les hôpitaux militaires et les infirmières bénévoles de la Croix-Rouge qui, rappelons-le, a mobilisé plus de 60 000 infirmières durant la guerre.
Affiche de recrutement par Joyce Dennys
http://webdoc.france24.com/
Lors de la Première Guerre mondiale, les trois sociétés de la Croix-Rouge française, auxiliaires du service de santé de l’armée, mobilisent plus de 68 000 infirmières, créent près de 1500 hôpitaux auxiliaires, des infirmeries et des cantines de gare pour le soin des soldats malades et blessés. Elles interviennent également auprès des populations des régions envahies.
La Croix-Rouge est constituée de trois sociétés : SSBM, ADF et UFF qui ont mis en place un service spécialisé de soin aux soldats avec notamment les hôpitaux militaires et les cantines. Les infirmières durant la guerre ne se limitent cependant pas aux organismes dépendants de la Croix-Rouge, il y avait en effet des infirmières religieuses dans les établissements catholiques.
Le général Pétain décorant deux infirmières de la Grande Guerre
Lefigaro.fr
La médecine a également pu profiter des recherches de Marie Curie sur les radiations en 1903 et sur le radium en 1911. Celle-ci participe à la guerre par l’intermédiaire de ses travaux sur la radiologie qui permettent de repérer les fractures et les éclats d’obus.
Marie Curie
lettre.l’ehess.fr
En 1914, celle-ci obtient une attestation de la part du Ministère de la Guerre et met en place une équipe de chercheurs spécialisés dans la radiologie. C’est également elle qui est à l’origine de la création d’unités de radiologie mobiles. Marie Curie se rend elle-même dans les zones de combat, secondée par sa fille Irène. En 1918, à la fin de la guerre, elle prend la direction de l’Institut du radium, actuel Institut Pierre et Marie Curie.
Les femmes sont recrutées aussi par la Royal Air Force afin de servir dans des postes civils.
Poster de recrutement pour la RAF
Cependant, même si les femmes n’étaient pas toujours présentes sur le front, elles jouaient un grand rôle dans l’effort de guerre. En effet, celles-ci travaillaient dans les usines et remplaçaient les hommes partis au combat pour fabriquer des armes à destination des soldats du front. Ces femmes étaient appelées munitionnettes.
Femmes travaillant dans des usines d’armement à l’arrière
Le travail des femmes autrefois, Roger Colombier
Affiche de recrutement pour les usines d’armement de 1916
Hulton Archive
Malgré la pénibilité du travail, ces femmes sont parvenues pendant quatre ans, de 1915 à 1918, à faire tourner l’industrie de guerre. Cela s’explique par l’Organisation Scientifique du Travail, proposée par Taylor dans la seconde moitié du XIXème siècle, qui permettait aux femmes sans qualification préalable de fournir un travail de qualité. Le travail était en effet pénible car les femmes devaient porter des obus de plusieurs kilogrammes.
De plus, les munitionnettes travaillaient debout, de 10 à 14 heures, à la fois le jour comme la nuit. Ces conditions s’expliquent par le fait que dans ce contexte de guerre, les réglementations en vigueur furent suspendues. Au total, ce sont plus de 400 000 femmes qui ont travaillé dans les usines d’armement. A titre de comparaison, au Royaume-Uni, plus d’un million de femmes ont travaillé dans les usines. Outre la présence des femmes dans l’industrie de l’armement, certaines femmes décident de devenir des « marraines de guerre ». Leur but est de soutenir le moral des soldats qui n’ont pas l’occasion d’écrire à leur famille.
En France, la première association officielle se nomme « La Famille du Soldat ». Celle-ci est fondée en 1915. D’autres associations ont vu le jour tout au long de la guerre. Les « marraines de guerre » ont un double objectif. Elles permettent au soldat d’avoir une femme de substitution mais aussi à la femme elle-même qui a bien souvent perdu un mari ou un proche à la guerre.
Diplôme de Marraine de guerre illustré par Victor Descaves
Le figaro.fr
Outre ces fonctions réellement occupées par les femmes durant la guerre, la culture populaire a retenu certaines femmes particulières, parfois idéalisées. La plus connue est probablement Mata Hari, espionne et danseuse qui fut exécutée en 1917 pour espionnage.
Mata Hari dans son costume de scène en 1910
Mata Hari est née Margaretha Geertruida « Grietje » Zelle aux Pays-Bas en 1876. Celle-ci connut une enfance particulière avec le divorce de son père en 1890 et le décès de sa mère en 1891. Elle fut souvent prise pour une Eurasienne de par son teint basané. Au début des années 1900, elle est engagée afin de participer à un spectacle hindou. Elle se déguise alors en danseuse « exotique ».
Durant de nombreuses années, elle participe à des spectacles, contribuant au mythe de la danseuse exotique. En 1915, elle fait la rencontre du consul allemand Carl Cramer qui lui propose de travailler pour l’Allemagne en tant qu’espionne en échange du remboursement de ses dettes.
Mata Hari en civil
Durant la guerre, elle rencontre un officier français, le capitaine Ladoux, chef des services du contre-espionnage français qui lui propose d’aller espionner le Haut Commandement allemand en Belgique. Celle-ci accepte à nouveau cette mission contre une forte rémunération.
En janvier 1917, un attaché militaire allemand, le major Kalle que Mata Hari avait tenté de séduire en se faisant passer pour l’espion allemand de nom de code H-21, transmet un message radio à Berlin, décrivant les activités de cet agent. Les services secrets français interceptent le message et sont capables d’identifier H-21 comme étant Mata Hari. Après son retour en France, le contre-espionnage français réalise une perquisition de son domicile. Celle-ci permet de trouver des télégrammes établissant qu’elle avait travaillé avec les Allemands.
Après cette perquisition, elle est arrêtée et interrogée, en vain. Accusée d’espionnage au profit de l’Allemagne, Mata Hari est condamnée à mort pour « intelligence avec l’ennemi en temps de guerre » et sa grâce est rejetée par le Président Poincaré. Son exécution a lieu le 15 octobre 1917 par fusillade à Vincennes.
Selon son médecin, elle a refusé le bandeau qu’on lui proposait et aurait lancé un dernier baiser aux soldats de son peloton d’exécution. Après sa mort, Mata Hari deviendra un personnage symbolique de la Première Guerre mondiale, due à son histoire trouble. Elle fera l’objet de nombreuses adaptations au cinéma et à la télévision. Bien qu’elle ait réellement existé, elle n’est pas représentative du rôle des femmes durant la guerre. La femme tient également un « rôle » particulier dans cette guerre car elle représente de nombreuses valeurs et symboles tels que la Victoire, la Paix ou encore la République.
Les femmes ont joué un rôle important durant la guerre. Elles ont, en effet, tenu différents postes et contribué à l’effort de guerre à leur manière, notamment en remplaçant les hommes partis au front. Certaines figures féminines sont d’ailleurs restées comme l’espionne Mata Hari, bien que l’image que l’on a d’elle aujourd’hui ne soit pas vraiment représentative de la réalité.
Cependant, on peut se demander si la guerre a permis l’émancipation des femmes. En effet, après la guerre, les hommes désirent rester sur les bases d’avant-guerre. Très rapidement les préfets reçoivent des instructions pour recenser dans chaque usine travaillant pour la Défense nationale le nombre d’ouvriers mais aussi le nombre d’ouvrières. Les femmes sont dans certains cas licenciées. Par ailleurs, les femmes doivent à nouveau enfanter afin de combler les décès dus à la guerre. Certains organismes demandent la suppression du célibat, du concubinage et du travail féminin dans l’industrie. De plus, la répression de l’avortement est de plus en plus présente dans les années 1920 en France. Ainsi, la période de l’entre-deux-guerres ne permet pas réellement l’avancée des droits de la femme.
Tableau recensant les usines travaillant pour la Défense nationale à Dijon à la fin de la guerre et leur personnel
ADCO SM 2796
Cela reste néanmoins à nuancer car les femmes connurent quelques changements, notamment au niveau professionnel. Ainsi, les emplois domestiques sont moins présents et les femmes peuvent à nouveau travailler dans les usines. De plus, au niveau des pratiques vestimentaires, celles-ci sont moins rigides avec notamment l’abandon du corset. Les mœurs sont également plus libres. On peut également se demander ce qui a été retenu des femmes dans la mémoire collective.
Tout d’abord, peu de monuments commémoratifs présentent les femmes de façon « positive », elles sont le plus souvent représentées comme des veuves ou sous la forme d’allégories.
Veuve de guerre
musee-armee.fr
Des monuments en l’honneur des femmes ayant servi comme infirmières ont été édifiés après le conflit.
Monument en l’honneur des infirmières victimes de leur dévouement
Détail du monument infirmière venant en aide à un blessé
http://www.cndp.fr/crdp-reims/memoire/
Sur le livre d’or sont inscrits les noms de 979 infirmières dont 434 appartenant au seul Empire britannique :
– 346 infirmières du Royaume-Uni
– 53 infirmières canadiennes
– 35 infirmières d’Afrique du Sud
– 283 infirmières américaines
– 211 infirmières françaises
– 33 infirmières italiennes
– 18 infirmières roumaines
L’historien Stéphane Audoin-Rouzeau, célèbre pour ses travaux sur la Grande Guerre et notamment pour sa théorie du consentement des soldats à participer à la guerre, montre également que le viol des femmes durant la guerre, instrumentalisé durant celle-ci comme moyen de propagande, a été progressivement oublié dans la mémoire collective.
Enfin, au niveau civil et politique, certains pays comme la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis accordent le droit de vote aux femmes à l’issue de la guerre, entre 1917 et 1920. Quant à la France, celle-ci est en retard dans ce domaine et malgré les nombreux partisans d’un droit de vote des femmes ou, au moins, des veuves, les opposants, plus nombreux, déclarent que les femmes n’ont accompli que leur devoir durant cette guerre et qu’elles n’ont pas été l’égal des hommes.
Hubertine Auclert
La première suffragette française, Hubertine Auclert, pensait que le droit de vote devait être le préalable nécessaire à toute évolution pour les femmes. C’est en possédant le suffrage universel que les femmes pourraient accéder au progrès politique et social.
http://www.histoire-image.org
Hubertine Auclert obtient un vif succès sur le terrain politique mais elle ne fut pas relayée dans ses actes par les politiciens de l’époque. Les femmes pensaient que leur vote permettrait d’entreprendre de grandes réformes sociales et de garantir la paix. Ainsi, les suffragettes des années 1920 brandissaient-elles des pancartes » pour supprimer les taudis « , » pour combattre l’alcoolisme « .