Au début de cette année 1939, la vie est encore paisible à Cluny, malgré l’imminente menace d’une guerre qui flotte sur la France toute entière. Le lycée la Prat’s s’appelle alors l’École Pratique de Commerce et d’Industrie et celle-ci compte environ 185 élèves issus de toute la France, voire de Belgique. Le 3 Septembre 1939, la guerre est déclarée. La plupart des hommes doivent rejoindre le front et c’est le début de la « drôle de guerre » : une période d’incertitude qui va durer jusqu’à l’offensive allemande du 10 Mai 1940… À ce moment-là, beaucoup d’élèves doivent arrêter leur scolarité en cours d’année, car il est grand temps pour beaucoup de familles du Nord-Est de la France de partir en exode, dans le but de se mettre en sécurité en cas d’invasion du pays, C’est ainsi que trente-six élèves quittent l’École lors de cette terrible année.
Cour intérieure en 1939[1]
Le 22 Juin 1940, la guerre est perdue et la France est morcelée entre une partie occupée et une partie dite »zone libre ». Cluny se trouve dans cette dernière et est donc soumise au régime de Vichy dirigé par le Maréchal Pétain. Le début des discriminations ne se fait pas attendre : le lycée doit se séparer de deux professeurs et de son directeur (M. Deloire) pour la simple raison qu’ils sont Francs-Maçons ; mais c’est surtout le début en France des discriminations antisémites. La Prat’s a accueilli des enfants Juifs après cette période, mais sous de fausses identités… C’est aussi cette année-là (1940) que l’École pratique change de nom pour devenir le »collège technique de Cluny ». Serge Bavoux et Raymond Cardinal se souviennent que la vie au lycée pendant la guerre est assez difficile. En effet, les subventions de l’État sont de plus en plus rares, l’accès à la nourriture est fortement réduit (utilisation de tickets de rationnement). Les élèves doivent vivre et travailler dans des locaux et un internat parfois non chauffés… et ils chipent des patates dans les réserves pour les faire cuire dans les poêles des ateliers !
Les mois passent et la résistance s’organise dans le Clunisois : les différents maquis se forment et le nombre de maquisards ne cesse d’augmenter. Pour la plupart, ce sont des réfractaires au STO (Service du Travail Obligatoire), mais il y a aussi des personnes simplement opposées aux Nazis car, depuis le 11 Novembre 1942, toute la France est occupée, y compris Cluny. La Prat’s va alors rassembler personnels et élèves qui ont le même idéal, celui de la libération du pays, la plus emblématique personnalité restant Marie-Louise Zimberlin, professeure de français et d’anglais. Dès 1941, elle s’engage dans le mouvement »Franc-Tireur ».
Membre fondateur du mouvement dans le Clunisois, elle n’hésitera pas à distribuer des tracts et des journaux clandestins comme Le Franc-tireur ou Libération, et elle permet même à certains de ses élèves d’échapper au STO ; tous ces actes de résistance font d’elle une très grande figure de l’École. Mais le sort finit par s’abattre sur elle, lors de la grande opération de la SIPO-SD de Lyon des 14 et 15 février, où elle est arrêtée en plein cours de français devant tous ses élèves, puis déportée avec plus de soixante Clunisois. Elle survivra à l’enfer du camp de concentration de Ravensbrück jusqu’à sa libération en avril 1945, mais décédera sur le chemin du retour, sans jamais avoir revu Cluny…
Il est aussi important d’évoquer Albert Schmitt[2], professeur de dessin industriel au lycée depuis 1942, qui se fait abattre à Bourgvilain le 11 août 1944 alors qu’il s’apprêtait à participer à la libération de Cluny, première ville libre du département.
Lieutenant Albert Schmitt[3]
Une autre figure notable : Henry Daget, professeur de mathématiques à partir d’octobre 1940 à l’École Pratique de Commerce et d’Industrie et membre très actif de la résistance locale. Il constitue même un maquis à partir de 1943, organise et participe à tous les parachutages de matériel dans la région et finit par atteindre le grade de chef de secteur du Clunisois.
Jeunes au maquis[4].
Dès 1944, tout s’accélère dans le Clunisois : les Alliés commencent à larguer des caisses en grande quantité à travers la région, ce qui endommage parfois leurs contenus ; elles sont pour la plupart remplies d’explosifs et de mitraillettes Sten. Ces dernières sont souvent abîmées pendant leur atterrissage et ont besoin d’être réparées. C’est ainsi que certaines d’entre elles sont amenées dans les ateliers de l’École dans le but d’être réparées, souvent par des élèves, ce qui constitue un acte de résistance majeur. Cette tâche n’est pas des moindres, car la quantité de matériel largué est importante : le 14 juillet 1944, plus de cent tonnes d’armes ont été lachées en une seule soirée !
« Deux anciens prat’siens se souviennent : Ce fut notre tâche en « bons techniciens que déjà nous étions », sous la surveillance d’un de nos contremaîtres, Monsieur Barraud.
Après avoir éliminé les armes défectueuses et donc irréparables, nous procédions selon deux principes bien connus : la méthode dite de « l’étau », pour redresser les canons des mitraillettes Sten, et la méthode de « restauration », en prélevant les pièces à remplacer sur les armes irrécupérables.
Ensuite, « qualité du travail oblige », nous devions essayer les armes considérées comme « aptes au service ». Le mode opératoire était le suivant : tirer un chargeur complet dans les citrouilles situées dans un jardin cultivé derrière les atel’s, à cinq mètres du tireur, la précision du tir n’était pas considérée comme un critère important.
Au C.T.C. (Collège Technique de Cluny, c’est-à-dire La Prat’s), étaient également stockés certains containers abîmés lors du parachutage et contenant quelques « douceurs » et notamment des cigarettes Camel : cela sentait le bon miel ! Mais c’était le stock « réservé » ! En bons sportifs à l’époque, nous n’en fûmes pas privés[5] .»
Le 6 juin 1944, tout bascule. Grâce au débarquement, de cachée, la Résistance devient ouverte. À La Prat’s, les maquisards viennent chercher les jeunes en âge de se battre. À l’internat, c’est le branle-bas de combat. Comme le racontent S. Bavoux et R. Cardinal, anciens élèves que j’ai rencontrés, le surveillant qui refuse de laisser partir les internes est ligoté sur son lit et on lui prend son pantalon afin qu’il ne puisse plus sortir de l’enceinte de l’École. Le 11 août, Cluny devient ainsi la première ville libérée de Saône-et-Loire. Puis, le 8 mai 1945, toute la France fête la libération du pays. À la Prat’s, on pleure les disparus, on acclame les héros et, sur le toit, on hisse les couleurs…
Les Prat’siens hissent les couleurs sur le toit de l’École[6].
[1] Archive privée, C. Clergue.
[2] Voir à ce sujet l’article d’Amanda Condemine.
[3] Archive privée, C. Clergue.
[4] Clergue Chantal-Michelon Fabrice. La Prat’s, un lycée à Cluny, 1893-1946. Cluny : JPM éditions, 2004, 176 p., p. 145.
[5] Ibidem., p. 145-146. Quelques souvenirs de deux élèves / Promo 41 à 47.
[6] Archive privée, C. Clergue.
Cédric , seconde
avec l’aimable participation de Serge Bavoux et de Raymond Cardinal
Cédric, un très bon article où vous avez tout-à-fait bien résumé ce qu’était cette Ecole pratique à un moment de l’Histoire.
Article passionnant! Merci Cédric de t’être plongé dans l’histoire de La Prat’s…