Comment les condamner ? Comment garder les preuves ? Comment se souvenir ? La France était encore occupée que certains songeaient déjà à l’après-guerre.
Isaac Schneersohn était de ceux-là.
Industriel dans la métallurgie, juif d’origine russe, les lois d’aryanisation lui arrachèrent son travail lorsque la guerre éclata, tandis que ses deux fils Arnold et Boris étaient mobilisés comme réservistes de l’armée française. Après la défaite des forces de l’Alliance, Isaac et sa famille fuirent l’occupation allemande : de Paris, ils déménagèrent à Bordeaux, puis en Dordogne, pour venir s’établir à Grenoble.
C’est là que, le 28 avril 1943, dans la clandestinité la plus totale, en présence de quelques 40 personnalités de la communauté juive, son appartement de la rue Bizanet vît naître le plus important fonds d’archives témoignant de la persécution des Juifs de France.
Pendant la guerre, puis après l’armistice, grâce également à Léon Poliakov, historien juif d’origine russe, le désormais nommé Centre de Documentation Juive Contemporaine réussît à rassembler de nombreux documents, sauvant de la destruction, retrouvant, analysant les archives de la police vichyste, de l’ambassade d’Allemagne à Paris, ou du service anti-juif de la Gestapo…
Rendus possibles en grande partie grâce à la documentation du Centre, nombre des différents procès, de Nuremberg, d’Adolf Eichmann, de Klaus Barbie notamment, mais bien d’autres, ont pu s’appuyer sur les preuves de culpabilité des dignitaires nazis fournies par les archives.
Toujours aussi engagé dans son devoir de mémoire, Isaac Shneersohn décida de créer un mémorial à Paris. La première pierre du Mémorial du Martyr Juif Inconnu de Paris fut posée le 17 mai 1953, et l’inauguration eu lieu le 30 octobre 1956. Le bâtiment fût doté d’une crypte dans laquelle reposent, depuis 1957, des cendres provenant des camps d’extermination et du ghetto de Varsovie. Sur ces cendres brûle une flamme éternelle rendant hommage au six millions de Juifs victimes de la Seconde Guerre mondiale.
Depuis sa création, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, la flamme n’a jamais cessé de brûler et le bâtiment n’a cessé d’évoluer. Il s’est aujourd’hui intégré dans un ensemble, devenu le mémorial de la Shoah — inauguré en 2005 par Jacques Chirac, président de la République — qui comprend un fond documentaire (40 millions de documents y sont conservés, ce qui en fait un des plus grands d’Europe) ainsi que le mur des noms — allée cernée de blocs de marbre sur lesquels reposent, en lettre gravées, les noms des 76 000 Juifs déportés de France — et l’allée des Justes, à l’extérieur, qui rappelle les noms des presque 4000 Justes parmi les Nations français. L’ensemble est depuis 2005 complété par un autre bâtiment situé sur le site de l’ancien camp de Drancy, le mémorial de la Shoah de Drancy, inauguré par notre président François Hollande.
« L’humanité est un vernis fragile, mais ce vernis existe. » a un jour dit Simone Veil, de l’Académie Française. Le vernis tolère un simple contact, une rayure, mais il ne faut pas le gratter. L’humanité est beaucoup trop fragile pour que l’on répète les erreurs du passé. Faire que l’on s’en souvienne, faire qu’on les évite : c’est là le rôle de l’historien, celui des livres, des archives et du mémorial. C’est là qu’interviennent Isaac Shneerson, Serge et Beate Klarsferld, Olivier Lalieu (historien au mémorial) et beaucoup d’autres encore.
Ces hommes n’ont pas oublié l’Histoire et l’Histoire ne les oubliera pas.
Arthur Doré Fruchard
Merci Arthur de nous avoir fait partager l’histoire de ce lieu chargé d’histoire[s].
Très bel article, comme à votre habitude !