Roger Darcissac est l’un de ces hommes restés dans l’ombre toute la guerre, l’un de ces hommes prêt à surmonter tous les dangers pour protéger les valeurs humanistes et progressistes, l’un de ces hommes ayant risqué sa vie pour en protéger d’autres, l’un de ces hommes que l’on nomme dorénavant « Juste ». Si le nom de Darcissac ne vous dit rien, ce qui est fort probable, laissez moi vous éclairer sur le personnage.
Roger Darcissac est né à Paris en 1898 ; en grandissant, il trouve vite sa voie, le monde scolaire. Il devient ainsi instituteur, fait sa vie et se marie avec Élisabeth Frandon. En 1928, il est nommé directeur du cours complémentaire à l’école primaire du Chambon-sur-Lignon et son épouse y travaillera également. Curieux, Roger s’intéresse rapidement à l’histoire du village et à celle du Plateau. Il organise de surcroît de multiples activités culturelles en faveur des habitants du petit village ou pour les touristes. De Parisien, Roger Darcissac se change en un pur Cévenol.
Cette vie si tranquille se trouve cependant brutalement chamboulée : le 1er septembre 1939, l’Allemagne lance une offensive contre la Pologne et c’est ainsi qu’un conflit d’une ampleur sans précédent se met en marche. Puis s’enchaînent les persécutions, les traques et d’autres atrocités, faisant de cette guerre l’une des plus effroyables de tous les temps. Refusant de se soumettre, Darcissac fera très rapidement de la résistance civile en publiant une carte postale reproduisant la Tour de Constance d’Aigues-Mortes et sur laquelle s’inscrit un mot aussi fort que déterminé « Résister ». En tant que directeur de l’école du Chambon-sur-Lignon, il profite de son statut pour recevoir des enfants, quelque soit leur origine et leur croyance : il les inscrit sous de fausses identités, les couvre même face aux autorités lui demandant régulièrement une liste des enfants juifs admis dans son établissement. De plus, avec la complicité de sa femme, il héberge de jeunes enfants à son domicile.
Sa résistance civile persiste tant qu’il devient un personnage incontournable du Chambon. Photographe amateur, il réalise de nombreux portraits pour la création de faux papiers d’identité, tout cela avec la complicité du fameux « faussaire du Plateau », Oscar Rosowsky dont a déjà parlé mon collègue Allan Decoudu. Pendant ces nombreuses actions perpétrées en marge de la loi, Roger continue sa respectable vie de directeur de l’école du Chambon-sur-Lignon en prenant, par exemple, la direction de la chorale scolaire, ou en s’occupant de la mise en place du sapin de Noël au Temple, etc . Comment soupçonner cet homme si respectable et si impliqué ?
Malheureusement, Roger Darcissac, ainsi que les deux pasteurs Chambonnais, considérés par les autorités comme les têtes de la Résistance, sera arrêté et emprisonné au camp de Saint-Paul-d’Eyjeaux près de Limoges en février 1943. L’instituteur sera néanmoins libéré le 15 mars après avoir signé une attestation d’allégeance au régime de Vichy et à ses idéologies ; quant aux pasteurs Trocmé et Théis, ils seront relâchés le lendemain.
Le 14 novembre 1988, Yad Vashem lui décernera le titre de «Juste parmi les nations». A mes yeux, Roger Darcissac est l’exemple parfait de la dissidence face à un régime oppressif, la preuve que l’humanisme peut amener à réaliser des choses impensables mais justes, la preuve d’un courage sans limite pour une idéologie progressiste et tolérante, la preuve que même un instituteur d’un petit village peut faire changer les choses à tout jamais car il était de ceux qui défendaient des valeurs humanistes, fraternelles, sages et justes.
Alors que nous étions au Chambon le 27 janvier dernier pour parler de « l’engagement », il était d’ailleurs émouvant d’apercevoir les enfants de l’école jouxtant le lieu de mémoire, jouer dans la cour de récréation…
Derrière Marie et Rivka, les enfants du Chambon, dans leur cour d’école. (Photo: lieu de mémoire)
Cette cour de récréation d’un petit village a vu passer des gens exceptionnels comme Oscar Rosowsky, le pasteur Trocmé, Madeleine Dreyfus, Roger le Forestier et plein d’autres encore. Mais ce village aura surtout connu un directeur d’école qui aura marqué à jamais ce lieu déjà rempli d’Histoire.
Note : Roger Darcissac me fait étrangement penser à Marie Louise Zimberlin. Tous deux professeurs, ils se sont servis de leur statut pour résister et se battre contre les avilissements du régime nazi.
En 1955 j’étais à l’école primaire du Chambon sur Lignon. Roger Dacissac était directeur de l’école, mais c’était également notre professeur de chant. Il nous faisait chanter »le petit rêne au nez rouge » et »un petit train s’en va dans la campagne ». Le dimanche, nous le retrouvions au Temple comme moniteur de l’école du dimanche. Lorsque que nous allions au cinéma »Le foyer cévenol » nous le retrouvions dans le hall d’entrée, car il semble me souvenir le cinéma était géré par l’Assocition Familliale Protestante du Chambon dont Roger Darcissac était le Président ou le secrétaire. En tant qu’historien du Chambon il était captivant.Par exemple, Il nous avait expliqué que le chateau de Beaujeu était probablement relié aux gorges du Lignon par un souterrain pour qu’en cas de siège du chateau on puisse aller faire boire les chevaux dans le Lignon. On les a parcourut ces gorges en long et en travers. Mais ce n’est pas parce que l’on n’a rien trouvé que ce souterrain n’existe pas.
Encore un très beau portrait d’un Chambonnais engagé. Félicitations Thomas !