[Poésie] Micheline Maurel – Il faudra que je me souvienne

Il faudra que je me souvienne
Plus tard, de ces horribles temps,
Froidement, gravement, sans haine,
Mais avec franchise pourtant.
De ce triste et laid paysage
Du vol incessant des corbeaux,
Des longs blocks sur ce marécage,
Froids et noirs comme des tombeaux.
De ces femmes emmitouflées
De vieux papiers et de chiffons,
De ces pauvres jambes gelées
Qui dansent dans l’appel trop long.
Des batailles á coups de louche,
À coups de seau, á coups de poing,
De la crispation des bouches
Quand la soupe n’arrive point.
De ces « coupables » que l’on plonge
Dans l’eau vaseuse des baquets
De ces membres jaunis que rongent
De larges ulcères plaqués.
De cette toux á perdre haleine,
De ce regard désespéré,
Tourné vers la terre lointaine,
O mon Dieu, faites-nous rentrer!…
Il faudra que je me souvienne…

(Automne 1944)

2 réflexions sur « [Poésie] Micheline Maurel – Il faudra que je me souvienne »

  1. Merci d’entretenir le souvenir de ma soeur. Je vous signale que je viens d’éditer chez L’Harmattan sa correspondance et ses écrits des années de guerre sous le titre Danse au bord du précipice. En voici la préface par l’historien Jean-Marie-Guillon :
    Préface
    Micheline Maurel a publié ses souvenirs de déportation en 1957 aux Éditions de Minuit. Le titre de son livre – Un camp très ordinaire – en donne le ton. La qualité de son témoignage, son écriture, son humanité, sa façon de raconter la tragédie que ses camarades et elle avaient traversée l’ont fait d’emblée considérer comme l’un des grands récits de déportation. Que François Mauriac – qui ne la connaissait pas et ne savait pas qu’elle venait d’un milieu catholique – l’ait préfacé dit assez l’intérêt que son récit avait suscité. Assez peu de femmes, à l’époque, avaient témoigné de leur survie dans les camps et surtout pas de cette façon. Il n’est pas excessif de rapprocher le témoignage de Micheline Maurel de celui de Germaine Tillion, qui n’était pas aussi connue qu’aujourd’hui comme une rescapée de Ravensbruck. Il y a chez toutes deux la capacité à poser un regard distancié sur l’horreur vécue, sans rien altérer de cette horreur même, et de le faire avec simplicité et humour.
    Micheline Maurel a été arrêtée en juin 1943 dans les Pyrénées-Orientales par les Allemands, emprisonnée à Perpignan puis au fort de Romainville, avant d’être expédiée à Ravensbruck et, aussitôt, de là, dans son annexe de Neubrandenbourg, rattachée à une usine d’aviation. Elle avait 27 ans. Elle était engagée dans la Résistance et c’est au cours d’une mission qu’elle avait été arrêtée. Mais qui était Micheline Maurel ? Car, dans Un camp très ordinaire, il est peu question d’elle et de sa vie d’avant. Je l’avais rencontrée, âgée, dans sa maison de retraite, elle rayonnait, parlait poésie, littérature, mais peu d’elle-même et peu de l’engagement qui lui avait valu vingt mois d’enfer.
    Sa correspondance, qui court de janvier 1940 jusqu’à la veille de son arrestation, en 1943 et qui est entrecroisée avec les souvenirs qu’elle a égrenés plus tard, un peu en vrac, éclaire donc sa personnalité – éclatante -, elle renseigne sur son parcours, sur le milieu d’où elle vient, sur ses amitiés, sur ses sentiments, sur certaines de ses opinions. C’est le récit de la vie d’une jeune femme, étudiante très avancée (elle prépare l’agrégation de lettres) et enseignante débutante, tirant le diable par la queue. Son milieu est patriote, catholique, mais, bien que toulonnais – dans une ville où la Marine vichyste tient le haut du pavé -, sans indulgence pour le régime du Maréchal. Elle-même est anglophile et vite gaulliste. Elle ne cache pas grand chose de ses opinions et ses activités même – ses activités discrètes s’entend – se devinent assez aisément à partir du moment où elle entre totalement dans la Résistance.
    Le témoignage est remarquable sur plusieurs plans. Sa fraîcheur, sa vivacité, son ironie, sa sincérité sautent aux yeux. La description qui est faite au fil des mois de la vie quotidienne à Lyon dans ses aspects les plus ordinaires – la faim bien sûr et les problèmes de ravitaillement, le froid dans ces hivers qui, de 1939 à 1942, sont parmi les pires du siècle, les transports, les soucis d’argent, les problèmes de santé, la vie de relations – constitue une mine d’informations au plus près de la réalité. On suit dans ses lettres sa quête de logements, on pénètre avec elles dans la banalité d’une pension de famille, on mesure combien les rapports humains dans l’enseignement ou dans l’université d’alors ont peu à voir avec ceux d’aujourd’hui. Quelques notations – le pétainisme, voire le lavalisme, de quelques uns des élèves qui dénoncent leur professeur, les espérances ou les craintes du moment – révèlent par touches le climat du moment. De temps à autre, certains événements lyonnais surgissent – le succès d’un film évoquant la « victoire de l’Angleterre », les rafles de l’été 1942 et celles de l’automne alors que les ouvriers manifestent contre les départs en Allemagne, la destruction à l’explosif des officines de propagande par des résistants – et la chronique quotidienne prend une autre dimension.
    L’originalité principale de cette correspondance tient cependant à deux autres de ses aspects. Le premier est ce qu’elle dit de ces soldats polonais, que la défaite a laissé échoués en France, alors qu’ils combattaient sur son sol à ses côtés, et avec lesquels elle se lie au point d’apprendre et d’enseigner leur langue. L’amour qu’elle éprouve pour l’un d’eux lui a permis d’intégrer ce petit milieu. Or ces Polonais, en contact avec les Britanniques, ont été parmi les premiers à constituer des réseaux d’évasion ou de renseignements, notamment en zone non occupée, en liaison avec l’Intelligence Service. En décrivant ses relations avec les uns et les autres, Micheline Maurel laisse entrevoir ce qu’ont été les premiers pas de cette Résistance. C’est à deux de ces réseaux ou sous-réseaux qu’elle participe, sans doute comme agent de liaison, certainement comme traductrice, avant de passer à temps plein, après l’occupation de la zone Sud, au réseau Marco Polo qui, lui, est un réseau gaulliste.
    Mais l’autre aspect exceptionnel de cette correspondance familiale tient à l’extraordinaire franchise de cette jeune femme avec ses proches, l’évocation sans détours de ses sentiments et de ses émotions, la description de ses amitiés et, notamment, de ses relations avec ses « amoureux ». Il en ressort une voix, celle de la jeune femme qui écrit, le 23 octobre 1940, « Moi, je veux rester libre absolument », et qui le restera, y compris, quelques mois plus tard, en camp.

    Jean-Marie Guillon
    Professeur des universités émérite
    (Aix-Marseille Université-UMR TELEMME)
    D’autre part, les éditions de Minuit viennent de rééditer Un camp très ordinaire, avec la postface de la réédition allemande.

    1. J’ai eu l’honneur et le plaisir d’assurer la régie du Spectacle
      « Un Camp Très Ordinaire  » auprès
      de Jany Sylvaire-Blouet qui avait été
      en camp avec votre sœur.
      J’ai beaucoup appris de l’accompagnement de ce spectacle que Jany portait seule de sa voix avec les musiques de Kosma extraits du disque vinyle éponyme.

      Les poésies sont belles et puissantes.

      Elles portent le témoignage de ce qu’il
      nous faut à tous prix éviter.
      La memoire est là nécessaire non par morbidité, ni par ressentiment mais pour la vigilance, pour prévenir et garder les yeux ouverts sur les fragilités de l’humanité qui peut à chaque instant par faiblesse, inconscience mais aussi malheureusement par méchanceté, jalousie ou dénie
      laisser se reproduire une telle situation.

      Merci et Hommage à ces Femmes
      Micheline, Jany et leurs sœurs de misère
      qui se sont battues pour que ce témoignage subsiste, existe
      et soit encore accessible
      pour témoignage de mémoire.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *