Né le 8 juillet 1908 à Montpellier, vous auriez aujourd’hui 108 ans. Votre chevelure aurait certainement blanchi, mais vos convictions religieuses, protestantes et humanistes n’auraient sans doute pas changé.
Élève assidu, vous étudiez la médecine dans votre ville natale. Huguenot et philanthrope, vous avez déjà en tête de partir pour l’Afrique comme médecin missionnaire. Et c’est dans cette optique que vous quittez Montpellier pour l’Institut Pasteur à Paris, puis la faculté de Marseille, où vous soutenez votre thèse sur « Le problème de la lèpre dans les colonies françaises et en France » en 1932. Votre service militaire vous contraint à attendre 1934 pour rejoindre l’Afrique. 26 ans déjà, et vous n’avez peur de rien, ni de l’épidémie de dysenterie que vous soignez à l’hôpital Albert Schweitzer de Lambaréné au Gabon, puis au Cameroun, ni même de la bilharziose, qui vous oblige quand même à regagner la France en juillet 1935, et plus précisément Le Chambon-sur-Lignon…
Médecin du village, toujours aussi impliqué dans la société de vos semblables, vous participez alors activement à la vie locale : religion, bals, fêtes… Vous êtes de toutes les parties. Lorsque vous rentrez de votre voyage de noces au Cameroun, en 1939, la guerre éclate, et c’est dans une autre entreprise que vous vous impliquez : la Résistance.
Vous apportez des soins à toute la population : maquisards ou réfugiés, juifs, d’ici ou bien d’ailleurs, Espagnols, protestants et autres confessions ; ce sont tous des hommes. Votre épouse Danielle et vous, offrez gîte, nourriture ou protection à qui en a besoin. Comme à cet enfant juif qui écrira un film sur votre village[1]. Vous, en tout cas, vous ne vous cachez pas, appelant le plateau Vivarais-Lignon à refuser le STO. De faux certificats, docteur, vous en signerez ! Vous devenez médecin commandant pour tous les groupements armés en juillet 1944. Mais la Gestapo vous observe depuis 1940 et une perquisition au Puy, en Haute-Loire, d’un véhicule révélant deux armes suffira à vous envoyer en prison le 4 août.
Transféré le 10 à Montluc, à Lyon, interné, torturé, vous vous êtes battu et relevé. La barbarie nazie aura néanmoins raison de vous en ce 20 août 1944, comme de 120 autres fusillés du fort de Lorette, à Saint-Genis-Laval[2]. Vous laisserez une lettre à votre veuve : « Mes pensées et mes rares moments de rêve étaient pour toi, pour mes deux chéris, pour ceux que j’aime… Embrasse les enfants tous les matins de ma part. Garde tes cheveux en tresse en souvenir car je t’aime ainsi coiffée… ».
Ami des paysans, commerçants, ouvriers, professeurs et enfants, ami de la France, d’Israël [3] et d’ailleurs, ami d’André Philip ou d’Albert Camus, qui décrivit cette Peste que vous combattîtes, vous avez ouvert votre cœur à toutes les victimes de la barbarie. Certes vous êtes officiellement « Mort pour la France ». Certes une plaque devançant votre maison atteste de votre courage. Mais ces honneurs ne rendront jamais grâce à votre engagement. Même le titre de Juste y parviendrait à peine[4].
Arthur Doré-Fruchard
[1] Il s’agit de Pierre Sauvage, réfugié juif sur le plateau Vivarais-Lignon et hébergé par un couple de paysans, les Sauvage, qui partira aux États-Unis après la guerre et réalisera un film sur l’action résistante du Plateau, Les Armes de l’Esprit, sorti en France en 1990, et considéré comme un documentaire de référence sur la Résistance, notamment aux États-Unis.
[2] Suite aux débarquements de Normandie et de Provence en juin et août 1944, les forces d’occupation nazies, frustrées, sont coupables de nombreux massacres arbitraires. Le 20 août 1944 au matin, sous les ordres de Werner Knab et Klaus Barbie, 120 prisonniers de Montluc sont emmenés par car au fort de Lorette, à Saint-Genis-Laval, où ils sont fusillés par petits groupes les uns après les autres.
[3] Création de l’état d’Israël en 1948
4 Malgré son action résistante civile indéniable, le titre de « Juste parmi les nations », décerné par l’état d’Israël, se refuse à Roger Le Forestier. Jusqu’ici, aucun dossier n’a été déposé à son égard.
I wish I could read it. He was a hero and I want to know more.
Très bel article, du titre jusque dans la manière d’écrire et surtout très bel hommage à cet homme qui durant la visite du mémorial a retenu notre attention à tous et à toutes.
Vivant et vibrant hommage rendu! Merci pour cette émotion.
Bravo pour ton article
Félicitations Arthur, pour ce magnifique et émouvant portrait!
Votre plume, Arthur, rend magnifiquement hommage à cette grande figure du Plateau : Roger Le Forestier.
Comme vous l’écrivez, il mériterait bien, en effet, de figurer -comme tant d’autres- au nombre des Justes.