Rescapé des camps nazis et Prix Nobel de la paix, l’écrivain juif américain s’est éteint samedi à 87 ans, après une vie à perpétuer la mémoire de l’Holocauste.
Il incarnait mieux que quiconque le devoir de mémoire, cette obligation de témoigner, raconter et se souvenir pour ne jamais oublier. Après avoir consacré la quasi-totalité de sa vie d’adulte à perpétuer la mémoire de la Shoah, à laquelle il avait survécu adolescent, Elie Wiesel s’est éteint samedi à l’âge de 87 ans à son domicile new-yorkais. Sa mort a été annoncée par le mémorial de l’Holocauste Yad Vashem, à Jérusalem.
Né en 1928 à Sighet, petite ville des montagnes carpates de Roumanie, Elie Wiesel est déporté à quinze ans à Auschwitz-Birkenau, où sa mère et sa plus jeune sœur périssent dans les chambres à gaz. Transféré à Buchenwald avec son père, il assiste en janvier 1945 à la mort de ce dernier, achevé par un gardien SS. A la libération du camp, quelques mois plus tard, Elie Wiesel, orphelin et apatride, est recueilli en France par l’OSE (Œuvre juive de secours aux enfants). Il étudie la philosophie à la Sorbonne, devient journaliste et écrivain. Il lui faudra toutefois dix ans pour écrire sur la guerre. Et sa rencontre avec celui qu’il appelait «le grand François Mauriac» y est pour beaucoup. L’écrivain français l’encourage à écrire. Il se battra aussi pendant des mois avec des éditeurs français et américains pour que le premier manuscrit d’Elie Wiesel, rédigé en yiddish, puisse être publié.
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Préfacé par Mauriac, ce premier roman, la Nuit, est publié en 1958. Récit brutal et largement autobiographique d’un adolescent déporté. Elie Wiesel y raconte sa première nuit à Auschwitz et «la vision cauchemardesque» de ces nourrissons jetés vivants dans un fossé en flammes. Il se remémore la mort de son père, «l’une des nuits les plus accablantes de ma vie». Mourant sur sa paillasse, son père le supplie de venir à ses côtés. «C’était son dernier vœu – m’avoir auprès de lui au moment de l’agonie, lorsque l’âme allait s’arracher à son corps meurtri – mais je ne l’ai pas exaucé. J’avais peur. Peur des coups.» Tétanisé, il voit les coups de gourdin mortels d’un SS s’abattre sur son père. «J’ai laissé mon vieux père seul agoniser. Sa voix me parvenait de si loin, de si près. Mais je n’ai pas bougé. Je ne me le pardonnerai jamais. Jamais je ne pardonnerai au monde de m’y avoir acculé, d’avoir fait de moi un autre homme, d’avoir réveillé en moi le diable, l’esprit le plus bas, l’instinct le plus sauvage», écrit-il dans la version originale de la Nuit, intitulée en yiddish Et le monde se taisait.
Culpabilité
Au fil d’une carrière longue de plus d’un demi-siècle, Elie Wiesel a écrit (souvent en français) plus d’une soixantaine de livres, dont une quinzaine de romans, plusieurs pièces de théâtre et de nombreux essais. Toujours, les mêmes fils rouges : l’Holocauste, la mort et Dieu. Comme beaucoup de survivants de la Shoah, Elie Wiesel ne s’est jamais départi d’un sentiment de culpabilité. «Certains lecteurs me disent que si j’ai survécu, c’est pour écrire ce texte, disait-il en référence à son premier roman. Je n’en suis pas convaincu. J’ignore comment j’ai survécu. Trop faible et trop timide, je n’ai rien fait pour. Cependant, ayant survécu, il m’incombe de conférer un sens à ma survie.» Ce sens, Elie Wiesel l’avait trouvé dans l’écriture mais aussi dans l’enseignement, notamment à l’université de Boston. Il disait témoigner avant tout «pour les jeunes d’aujourd’hui, pour les enfants qui naîtront demain», afin que «son passé ne devienne pas leur avenir».
Revenu de l’enfer des camps de la mort, l’écrivain devenu citoyen américain dans les années 60 a toujours considéré que son histoire était impossible à décrire, encore moins à comprendre, et pourtant nécessaire à raconter. Il écrivit : «Seuls ceux qui ont connu Auschwitz savent ce que c’était. Les autres ne sauront jamais.» Mais aussi : «L’oubli signifierait danger et insulte. Oublier les morts serait les tuer une deuxième fois.»
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Nobel de la paix
Dans la préface de la réédition la plus récente de la Nuit, il décrit la rédaction laborieuse de ce premier roman : «Les mots existants, sortis du dictionnaire, me paraissaient maigres, pauvres, pâles. Lesquels employer pour raconter le dernier voyage dans des wagons plombés vers l’inconnu ? Et la découverte d’un univers dément et froid où c’était humain d’être inhumain, où des hommes en uniforme disciplinés et cultivés venaient pour tuer, alors que les enfants ahuris et les vieillards épuisés y arrivaient pour mourir ?»
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Sans relâche, Elie Wiesel a tenté de trouver les mots. Sans relâche, il s’est élevé contre l’injustice, l’indifférence et l’oppression, de la Bosnie-Herzégovine au Rwanda, du Darfour à l’Afrique du Sud. En 1986, il reçut le prix Nobel de la paix. Le comité Nobel l’honora avec ces mots : «Sorti de l’abysse des camps de la mort, il est devenu un messager pour l’humanité. Porteur non pas d’un message de haine ou de revanche, mais de fraternité et d’expiation.»
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«Puissant faisceau de lumière»
Depuis l’annonce de la mort d’Elie Wiesel, les réactions se multiplient. «Elie, maître des mots, a exprimé par sa personnalité unique et ses livres fascinants la victoire de l’humanité sur la cruauté et le mal», a réagi le Premier ministre israélien. «Une fois hors de l’obscurité de l’Holocauste, Elie est devenu un puissant faisceau de lumière, de vérité et de dignité», a ajouté Benyamin Nétanyahou, à qui Elie Wiesel a toujours apporté son soutien. Suscitant certaines critiques, il défendait ainsi la colonisation de Jérusalem-Est. L’an dernier, il avait également assisté au discours de Nétanyahou devant le Congrès américain, au cours duquel le chef du gouvernement israélien avait vivement critiqué l’accord avec l’Iran et la politique de l’administration Obama.
Dans un communiqué, le président américain a rendu hommage à «une des grandes voix morales de notre temps et, à bien des égards, la conscience du monde». «Sa vie, et la force de son exemple, nous poussent à être meilleurs», a poursuivi Barack Obama. De son côté, François Hollande a salué «la mémoire d’un grand humaniste, inlassable défenseur de la paix».
Frédéric Autran.