Février 1968
En ce moment même se déroulent les entretiens franco-allemands.
Kiesinger est à Paris….
Je suis à l’hôtel Bristol. Franz Josef Strauss, ministre des finances, vient se joindre à nous.
Il répond aux questions qu’on lui pose… Et essaie de me convaincre que ma campagne contre Kiesinger est inutile.
16 février
Le défaut de correspondance de presse entre la France et Bonn fait que les Français manquent d’informations sur l’Allemagne.
La publication régulière de mes articles donne aux français des nouvelles de la politique allemande.
17 février
Jour du « Vietnam Congress » à Berlin-Ouest.
L’occasion d’un grand rassemblement de contestataires venus du monde entier.
Des étudiants français y sont présents, parmi eux, Alain Krivine.
20 mars 1968
Rencontre avec Rudi Dutschke.
Je viens d’arriver à Berlin Ouest après un voyage à travers la RDA.
J’espère pouvoir, en le voyant, obtenir de l’aide de sa part afin de mener ma lutte contre Kiesinger.
Je trouve Dutschke encore au lit avec sa femme et leur bébé.
Il semble proche de sa famille. Je lui expose mes idées.
C’est quelqu’un de différent de ses amis et des autres jeunes.
Il a l’allure d’un leader tout en n’étant pas prétentieux.
1er avril 1968
J’ai, il y a peu, pris conscience que si je voulais que mon combat ait un impact, il fallait faire du bruit ! Il y a une réunion au Bundestag.
J’ai décidé d’apostropher Kiesinger en pleine réunion. J’ai réussi à mettre un photographe dans la confidence !
Je suis à présent au Bundestag. Je me rends compte qu’il est difficile de crier dans cette salle.
Le temps passe, quand soudain je me lance et hurle « Kiesinger Nazi abtreten! »
Je le vois, il semble troublé.
On me saisit alors en me mettant une main devant la bouche et on m’entraîne dehors.
Ce n’est qu’au commissariat que je réponds aux questions.
Je suis libérée et rejoins des étudiants.
2 avril 1968
Objectif atteint !!! Des journaux publient des photos et des articles sur mon acte de la veille ainsi que sur le passé nazi de Kiesinger : le silence s’amenuise.
11 avril 1968
Rudi Dutschke a été victime d’un attentat. Il a été atteint par plusieurs balles au niveau de la tête, tirées à bout portant. Il est dans le coma. Nous décidons d’organiser une manifestation à Paris. Nous sommes accueillis par un grand nombre de CRS.
Il y a aussi beaucoup d’étudiants présents. Ils crient :« Springer, assassin ! » et déploient des banderoles « Kiesinger nazi »
Je pense que mon combat commence à mûrir !
9 mai 1968
C’est le jour du meeting que nous avons organisé à l’Université technique de Berlin.
Il y a plusieurs orateurs dont Günter Grass. Son discours enflamme la salle.
Quand vient mon tour, je déclare qu’il faut briser le mur qui entoure Kiesinger et que pour cela je giflerai le chancelier en public. La salle réagit vivement, les gens hurlent « Naïve! ».
C’est le tour des questions, un étudiant demande à Günter si demain il oserait venir aux manifestations de Bonn. Il se vexe et sort de la salle.
8 mai 1968
J’ai pris le train pour aller à Bonn. Ce train était extraordinaire, rempli de manifestants. Il quitte la gare de Friedrichstrasse à Berlin Est à 21h26.
Des jeunes de toute l’Allemagne viennent à Bonn.
Ils crient des slogans tels que « La bureaucratie mène au fascisme et stalinisme » ou encore « Kiesinger Nazi »
11 mai 1968
Le train arrive en gare à 8 heures du matin. Nous avons été joyeusement reçus.
La manifestation a été un véritable succès ! 60000 personnes défilèrent au lieu des 40000 attendus.
12 mai 1968
A Paris, des barricades fleurissent. J’installe à la Sorbonne un comité d’action franco-allemand.
Mais les jeunes ne sont intéressés que par leurs propres problèmes.
29 mai 1968
Avec une demi-douzaine de jeunes, nous prenons d’assaut l’Office franco-allemand à Paris.
Nous y accrochons des banderoles.
Des policiers viennent voir une première fois mais repartent vite.
Personne ne s’oppose à l’occupation. Mes anciens collègues de l’Office franco-allemand semblent scandalisés.
Des CRS viennent une deuxième fois mais après discussion, ils s’en vont.
Nous occupons l’Office pendant 24 heures. Nous nous retirons pacifiquement.
Été 1968
Je tâche de faire connaître, en publiant des articles dans Combat, la réalité allemande.
Je donne une conférence sur « Kiesinger et les Juifs ».
Commence alors ce qui est appelé par la presse le « Duel Klarsfeld/Kiesinger ».
3 novembre 68
Je viens d’arriver à Berlin. J’ai décidé de tenir ma promesse.
Je cherche de l’aide auprès des jeunes mais n’en trouve pas.
Ils sont démotivés parce que leur manifestation a été annulée à cause de l’importante mobilisation des forces de l’ordre.
4 novembre 1968
Je passe au bureau de presse du congrès.
J’espère pouvoir obtenir une carte de presse pour pouvoir assister aux séances qui vont se tenir prochainement. Je n’en obtiens pas. Il me faut pourtant un moyen d’approcher Kiesinger.
Je croise Reinardt, il me conseille de mettre un photographe dans le coup.
Il me donne un nom : Michael. Je le contacte aussitôt, il est de mon côté.
5 novembre 1968
Ce soir, en l’honneur du chancelier, est donné un cocktail à l’hôtel Hilton.
Celui-ci est aussi bien protégé que le congrès.
La carte d’invitation donnée par Michael marche très bien.
Je me mêle à un groupe de journalistes quand j’entends que Kiesinger ne viendra pas parce qu’il a une forte grippe. Je téléphone à Serge pour lui confier ma déception.
6 novembre 1968
Je passe chez Michael avant d’obtenir une nouvelle carte. Kiesinger va s’adresser aux Berlinois, il faut que j’assiste à son discours. En attendant, je vais au château de Charlottenburg.
Le soir, la brasserie est tellement protégée que l’on a l’impression d’un siège.
Nous arrivons tout de même à passer.
Mais une fois devant la tribune, je me rends compte que l’accès est réservé aux photographes et que les passages sont fermés par les services de l’ordre du CDU.
Je prends un appareil photo et m’approche des deux cerbères, mais ils me repoussent sans ménagement car je n’ai pas de carte de photographe.
J’assiste au meeting, amère.
7 novembre 1968
Ma dernière chance : c’est la séance de clôture du congrès du CDU.
Michael m’apprend qu’il n’a pas pu obtenir de carte d’invitation. Il me fait quand même franchir les trois barrages extérieurs en voiture. Il me laisse dans la voiture, le temps passe.
Il revient me chercher, les gardes le laissent passer, l’ayant contrôlé juste avant, à sa sortie.
Je passe. J’arrive dans la salle, je garde mon sac et un carnet de notes.
Je suis dans la tribune des journalistes, surélevée par rapport à la table à laquelle est assis Kiesinger, au centre.
Il n’y a plus de place auprès des journalistes, je descends par l’allée.
Je prends quelques notes pour être plus crédible. J’arrive en bas, la table est trop large pour pouvoir le gifler de face. De chaque côté des membres des forces de l’ordre. Je m’approche de l’un deux, brandissant mon calepin, je lève la main et fais signe de l’autre côté. Je dis au surveillant que je veux rejoindre quelqu’un, il refuse. J’insiste, il finit par céder.
Je passe derrière Kiesinger, mes muscles se relâchent et je le gifle en criant « Nazi ! Nazi ! »
Je sens que l’on m’attrape par derrière, on me traîne dehors.
Ça a réussi ! On m’emmène dans un bureau. Le représentant de Kiesinger vient et me demande pourquoi j’ai giflé le chancelier. On m’emmène ensuite au Polizeipräsidium où on dresse mon procès-verbal.
J’ai le droit de téléphoner. J’appelle Serge puis Horst Mahler.
Mahler me rejoint, il me félicite discrètement. Nous avons fixé les grandes lignes de ma défense.
Je suis conduite en prison, mais on vient rapidement me chercher.
J’apprends que l’on me juge aujourd’hui. Pendant le procès, j’apprends que des membres du service d’ordre était prêts à tirer mais ne l’ont pour ne pas risquer de blesser le chancelier.
Le tribunal me condamne d’abord à un an de prison ferme plus 50 000 Marks d’amande.
J’essaye de parler mais on m’ignore. Je demande alors à être jugée par une juridiction française étant donné que je suis de nationalité française. Le juge se retire. Lorsqu’il revient il m’annonce que ma détention est suspendue. Je suis libre ! Je quitte alors le tribunal. Je vais à l’auditorium de l’Université Libre de Berlin. Des milliers de jeunes y sont massés, nous sommes reçus par des applaudissements. Je leur parle de ma joie d’avoir réussi à tenir ma parole.
Je vais ensuite à une conférence de presse organisée au club républicain.
En répondant aux questions je vois Serge apparaître ! Je me jette dans ses bras, je suis heureuse !
Marielle Brendlen