Je me suis finalement plongée dans ce projet sans même penser au voyage en Pologne.
On apprenait beaucoup d’un point de vue historique et on grandissait à chaque nouvelle rencontre. Nous avions tous pris conscience de l’importance du projet et de son envergure.
Cependant, la visite des camps d’Auschwitz était notre dernière étape.
Après une journée de voyage et la découverte de la ville, nous sommes partis du centre de Cracovie lundi matin à 7h45 en direction d’Auschwitz. On nous avait dit que l’on mettrait environ 1h ; je me suis alors retrouvée à sans cesse regarder l’heure en attendant que le paysage change, comme si la route allait devenir un chemin de terre et que le camp allait être au milieu d’immenses champs. L’ambiance dans le bus était particulière : certains rigolaient, d’autres écoutaient de la musique ; nous appréhendions tous mais d’une façon différente. On en avait énormément parlé avant et on se posait beaucoup de questions ; comment allions-nous réagir ? Allions-nous pleurer ? Ne pas être assez sensibles ?
On arriva finalement autour de 9h ; le camp se trouvait au milieu de la ville entouré par les maisons et les magasins.
La première étape, pour moi, fut de passer l’arche du camp d’Auschwitz I. « Le travail rend libre » nous traduit notre guide, une phrase devenue malheureusement célèbre. Cette ironie macabre me dégoûta.
Je vis alors un corbeau se poser sur le haut des fils barbelés. Il y avait du brouillard, tout était si irréel et à la fois dans le « thème ».
On avançait timidement dans l’allée, ne sachant même pas où regarder.
Je n’arrivais pas à prendre de photos. Je me demandais si j’allais de nouveau pouvoir les regarder. Si c’était une forme d’irrespect ou un devoir de mémoire…
Plus on avançait dans la visite et qu’on rentrait dans les différents bâtiments, plus l’ambiance devenait pesante. Ce n’était pourtant pas silencieux puisqu’il y avait beaucoup de monde : des gens de nationalités différentes, des enfants et des personnes âgées.
Puis, je n’ai pas entendu que nous allions rentrer dans la salle où se trouvaient tous les cheveux, mais j’ai vu des gens pleurer. Je me suis alors avancée, j’ai vu une vitrine immense et ma respiration s’est bloquée : j’étais pétrifiée, j’ai détourné immédiatement le regard en cherchant désespérément quelqu’un, un regard rassurant mais j’entendais seulement la voix de notre guide, pourtant si douce, nous parler sans comprendre de tonnes de cheveux, d’expériences, de ventes.
On venait de voir des boîtes vides dans lesquelles se trouvaient les gaz et maintenant ces millions de cheveux aussi je me demandais : Comment peut-on en arriver à parler de rentabilité ? Comment avaient-ils réussi à en faire une question économique ?
Nous étions séparés en deux groupes : je faisais partie du « deuxième » groupe et nous rentrions dans les différents bâtiments quand les autres en sortaient. Quand on se croisait, nos regards étaient fuyants et personne n’osait parler alors que nous étions juste à côté les uns des autres, les couloirs étant très étroits.
L’après-midi, nous sommes partis pour le deuxième camp, Auschwitz II (Birkenau). Ces deux lieux étaient différents car les baraques n’étaient pas les mêmes ; d’un côté des briques rouges et de l’autre du bois, mais c’était surtout la superficie. Celui-ci était tellement grand ; j’apercevais au loin les sapins mais la distance qui nous en séparait me paraissait interminable.
Je compris alors que le plus dur n’était pas d’avoir vu tous ces cheveux, ces lunettes, ces chaussures, ces habits d’enfants mais cet immense « quai », cette « gare » qui ne faisait que s’étendre.
J’avais en tête une image fixe : des milliers de gens qui ne savaient pas où ils allaient. La guide nous dit : « On utilise souvent cette métaphore : c’était un terminus dans le sens où ils étaient arrivés mais que c’était aussi la fin de leur vie, mais ça ils ne le savaient pas encore ».
Cette après-midi-là, on a beaucoup marché. Il ne faisait pas beau mais on n’avait pas le droit de se plaindre du froid, de la fatigue ou de la boue car on avait des doudounes et des chaussures confortables.
En fait, la culpabilité montait : Avais-je vraiment le droit d’être là ? Est-ce qu’on pouvait regarder à travers une vitre l’intérieur des baraques dans lesquels dans gens étaient morts?
La guide nous montra les restes des chambres à gaz : il y avait des petites bougies un peu partout. En s’avançant vers une ruine, elle nous dit de faire attention où on marchait car encore aujourd’hui « le sol vomit » et il arrive régulièrement que l’on retrouve des ossements ou des objets.
Le temps de marcher jusqu’aux prochains bâtiments, je me demandais : A quel moment on décide que quelqu’un doit vivre et pas un autre ? Comment ces hommes rentraient-ils chez eux pour retrouver leurs familles et leurs enfants alors qu’ils venaient de tuer des centaines de personnes ? Comment ces soldats allemands ont-ils pu être complices de cette machine à tuer ? Comment arrive-t-on à dire qu’ils n’étaient pas entièrement responsables ? Mais qui est alors responsable ?
Au final, je me suis posé beaucoup de questions auxquelles je ne trouve pas de réponses claires malgré tout ce que j’ai pu apprendre et voir. Ainsi je finirais sur les paroles de notre guide : « Vous avez le savoir, vous devez maintenant prendre conscience de ce savoir ».
Je crois que voir Auschwitz était le meilleur moyen.
Clara M
Tu commences ton récit, Clara, par une question dérangeante. « Avais-je le droit d’être là ? ». Il appartient à chacun de répondre selon son ressenti. Mais je pense quand même que l’irrespect n’est pas de circonstance, quand on cherche à comprendre la souffrance de l’autre. Se plonger quelques instants dans l’enfer nourrit certainement une base de motivation pour éveiller les consciences, avertir des dangers, des discriminations banales qui peuvent mener à ôter la vie de l’autre. Merci d’avoir été si vraie dans les questions que tu aurais pu garder pour toi.
Je reste « scotchée » par ton témoignage et toutes tes réfléxions pleines de sens, à mesure que je lisais ma visite me revenait en mémoire et toutes les émotions avec..
Bravo !
Réveillez et éveillez les consciences…
Tu synthétises en une question qui elle même aura pour incidence de provoquer de multiples questions.
L’objectif n’était-il pas celui-ci?
Bravo et félicitations!
Mes compliments Clara tu as fait ton analyse et donné ton ressenti. Je suis fière de toi.
Ce voyage est gravé dans ta mémoire à jamais. J’espère un jour faire le voyage avec toi et Lea à Mauthausen lieu où papa et mon grand père sont passés.
Bon courage pour les jours à venir………………………
ta copine annie
Ce que tu as écris, c’est vraiment « ça », durant cette visite, nous avons tous eu un sentiment commun, une certaine frustration « pourquoi je n’arrive pas à pleurer devant tant d’horreur? ».
Arriver à mettre des mots dessus est pourtant compliqué, mais, quand je lis les essais, je trouve ça vraiment remarquable pour des lycéens.
Simone Veil disait (Clara ;)) : « les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu’elles différent de nous ; nous les avons nous-mêmes élevées de façon différente de celle dont nous l’avons été. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d’enthousiasme et de sacrifices comme les autres. »