Berthe, Pauline, Mariette Wild naît le 15 février 1893 à Marseille dans une famille protestante pratiquante. Dans une famille où l’oisiveté est un péché, Berty, ses études terminées, obtient son diplôme d’infirmière avant de trouver un beau parti qui la mettra à l’abri des aléas de la vie. Partie Outre-Manche parfaire son anglais, à 21 ans elle fait connaissance avec les premières féministes de Londres. Ces rencontres avec les suffragettes anglaises[1] décident de son entrée en politique. À Londres, elle retrouve aussi Frédéric Albrecht, dont elle avait fait la connaissance à Marseille. Épouser un catholique n’est pas du goût de sa famille qui s’inclinera cependant. La guerre déclarée, de retour à Marseille, la jeune fille rejoint les rangs de la Croix-Rouge dans les hôpitaux puis gagne Rotterdam pour se marier.
Aux Pays-Bas, la condition des femmes ne ressemble en rien à celle que Berty a connue en France puisque les Hollandaises voteront pour la première fois en 1922. La jeune femme regarde tout cela avec intérêt et, malgré la naissance de ses deux enfants, peut-être rêve-t-elle déjà à une vie plus engagée, moins conformiste. Venus vivre à Londres, le couple Albrecht commence en effet à battre de l’aile. Frédéric est banquier alors que son épouse fréquente des intellectuels de gauche, des féministes adeptes de la planification des naissances et de la libre sexualité. Là, elle « offre son concours aux militants de l’égalité politique, économique et sexuelles de la femme, de la réforme des lois sur le mariage et le divorce, de l’amélioration de l’éducation sexuelle, du contrôle des naissances, de la réforme des lois sur l’avortement, de la prévention des maladies vénériennes et de la prostitution, et de la protection des mères célibataires et des enfants illégitimes[2]. Avec Frédéric, le temps de la séparation est venu et elle part s’installer à Paris en 1931 avec les enfants[3]. D’après sa biographe, elle ne « fréquente que les infréquentables[4] » et prône la libération sexuelle que même certaines féministes françaises de l’époque redoutent.
En 1932, son action est déjà bien engagée dans l’Association des études sexologiques et elle est élue au Comité exécutif de la Ligue mondiale pour la réforme sexuelle sur une base scientifique ; elle « participe également au ralliement de la Ligue des droits de l’homme au combat pour l’abolition de la loi du 31 juillet 1920[5]. » À toutes ces activités se rajoute en 1933 la création d’un revue : Le problème sexuel et sa rencontre avec le jeune capitaine Henri Frenay.
C’est à partir de 1934 que Berty s’engage dans un autre combat : celui de la lutte contre le fascisme en adhérant tout d’abord au Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme puis en participant en 1935 au Comité d’aide à l’Ethiopie[6]. En 1936, elle entre au Comité international de coordination et d’information pour l’aide à l’Espagne républicaine[7]. À Paris, son appartement accueille les premiers réfugiés d’Allemagne qui racontent les camps de concentration.
Pourtant, en plein Front Populaire, Berty se trouve encore trop inutile et décide de reprendre des études. Afin d’appréhender réellement les questions sociales, la bourgeoise qu’elle est décide à 43 ans de reprendre des études et de travailler… comme surintendante d’usine[8] ! Pour son mari, la coupe est pleine : pensant la ramener à la raison, il lui coupe les vivres. C’est bien mal connaitre sa femme qui continue de travailler à Vierzon. Trois jours avant l’entrée des Allemands dans la capitale, Berty a en effet fui et pour cause : la Gestapo viendra rapidement visiter son appartement pour la trouver.
À Vierzon, elle décide de combattre en facilitant tout d’abord les filières d’évasion à ceux qui sont pourchassés. Frenay, lui, souhaiterait créer des unités paramilitaires en vue de poursuivre la guerre contre l’Allemagne grâce à la création du Mouvement de libération nationale. La lutte, ils la mèneront ensemble.
Installés à Lyon, il s’agit tout d’abord de multiplier les contacts, d’étoffer le mouvement et d’informer, via un Bulletin qui prendra ultérieurement le nom de Combat [9]. Alors que les premiers contacts sont pris avec Jean Moulin, les arrestations des membres de Combat débutent. Arrêtée par la police française en 1942, Berty -Victoria- dans la résistance, est envoyée à Vas les Bains où elle entame une grève de la faim de douze jours avant d’être transférée à la prison Saint-Joseph de Lyon. Condamnée à six mois de prison et 10 000 francs d’amende, elle sait, depuis l’invasion de la zone sud, qu’elle risque la déportation. Pour y échapper, elle décide de simuler la folie et part pour l’asile du Vinatier à Bron. Avec l’aide de sa fille Mireille et de celle de son médecin, trois membres des Groupes Francs l’aident à s’évader le 23 décembre de ce lieu sordide.
Mais, désormais, Berty est une femme traquée : Marseille, Toulouse… Cluny où elle retrouve Frenay.
Berty Albrecht[10]
Témoignage de Jean Fonteray, décembre 2015, Cluny
Pour tenter d’écrire l’histoire de Berty à Cluny, nous avons rencontré Jean Fonteray le samedi 12 décembre. Agé de 92 ans, il a toujours vécu à Cluny et a été résistant durant la Seconde Guerre mondiale. En effet, nous avions eu écho que sa famille avait hébergé Berty Albrecht durant son séjour à Cluny.
Cette rencontre fut très intéressante et la discussion ne s’est pas restreint à la seule question : « Vos grands-parents ont-ils caché Berty Albrecht ? »
Il est évident que nous ne nous n’attendions pas à découvrir de nouveaux secrets sur ce passé tant controversé et que personne n’arrivera un jour à clarifier. Toutefois nous tenions un petit bout de ces heures mystérieuses.
Ainsi, il nous répondra que oui -mais sans pouvoir nous l’assurer[11]– sa famille a hébergé B. Albrecht. En effet, quelques mois après l’arrestation de Berty, sa grand-mère lui racontera que -par le biais des Gouze- elle a caché la « secrétaire de Frenay », qui est bien sûr en réalité Berty Albrecht. C’est bien plus tard que la famille Fonteray apprendra l’identité de leur hôte.
C’est sans surprise qu’il nous dira que « Combat » était un réseau très secret, que personne ne savait ce qu’il s’y passait réellement et peut-être était-ce mieux ainsi.
Jean Fonteray © Léa Aujal
De nombreuses interrogations restent donc en suspend et nous avons bien peur qu’elles le restent à jamais ; combien de temps l’ont-ils cachée ? Où était Henri Frenay à ce moment-là ?
Nous vous proposons quand même, la suite du récit de Jean Fonteray.
Jean Fonteray va intégrer un groupe de résistants : ils étaient une trentaine à mener des actions entre la vallée de la Saône et la vallée de la Roue. Il précisera qu’ils avaient un canon et un mortier. Leur mission était entre autres de signaler les trains. Après quelques années, il s’enrôlera dans le 5e dragon et partira sur le front italien côté français.
Mais vous saviez-vous servir d’armes ?
Ah non, on apprenait en 3 jours !
Où étiez-vous le 11 août ?
J’étais dans Cluny, on m’avait envoyé là pour ravitailler.
Vous aviez peur ?
Peur ? Peur de mourir non. Vous savez on a vingt-ans, on n’a pas peur de mourir à cet âge-là. Et puis résister, ce n’était pas un problème, on se gonflait, on y croyait.
Vous n’avez vraiment jamais eu peur donc ?
Bon, c’est vrai que la première fois que vous voyez des petites branches de bois vous tomber dessus ça fait drôle » (ici il fait allusion à ces missions où il devait tirer sur les Allemands en étant bombardé en retour.)
Et d’ajouter : vous savez, toute cette période fait réfléchir, peut-être plus après qu’avant.
Qu’est-ce que souhaitait un jeune résistant comme vous ?
À l’époque, on était plein d’espoirs pour changer la société. Nous avions résisté ensemble et nous avions foi dans la notion de groupe, de solidarité. Nous souhaitions bâtir un avenir ensemble.
À quel moment on est déçu par le système ?
Il nous parlera ici de la montée de l’individualisme. Mais, de nature très optimiste, il nous dira en souriant que l’on est jeune et qu’il faut y croire et ne pas avoir peur. En effet, il y a toujours des solutions…
Témoignage de Serge Moreau, décembre 2015, Cluny
Après cette rencontre, le passage de Berty Albrecht à Cluny suscitait toujours de nombreuses interrogations. Nous avons donc eu la chance de recueillir un deuxième témoignage, celui de Serge Moreau.
Serge avait 11 ans à l’époque et ses parents tenaient un bistrot non loin de la maison Gouze[12] où furent cachés Berty et Henri Frenay.
Serge Moreau © Léa Aujal
Un jour, Me Moreau était sortie chercher des légumes dans le jardin et, sur le chemin, elle rencontra Mr Gouze qui était en train d’arranger l’appartement de son fils Roger pour le louer. Plus tard, quelqu’un vint au bistrot (Alabéatrice ou De Roujoux[13]) pour demander à M. Moreau un appartement pour deux personnes. Celui-ci chercha du côté dans la rue de La Prat’s mais ne trouvant rien, il choisit la solution de l’appartement des Gouze. Un autre résistant, Jules Pierreclaud (1891-1950)[14], passa visiter les lieux et conclut l’affaire avec M Gouze.
En bref, c’est ainsi que les membres fondateurs de Combat arrivèrent chez les Gouze où ils avaient pris comme nom d’emprunt : Tavernier pour Frenay et Moulin pour Berty. Et si Danielle Gouze mit ultérieurement beaucoup en avant ses faits de résistance, il faut rendre à César ce qui appartient à César : dans la famille, c’est Me Gouze qui était de loin la plus impliquée puisqu’elle tapait les rapports de Berty pour La voix du maquis et, selon Serge Moreau, « elle a connu des trucs que personne ne savait. »
Le 28 mai 1943, Me Moreau, Jean Renaud et Corgette (dit le marquis) apprirent que les Allemands fouillaient la maison Gouze. Ils comprirent immédiatement le danger qu’encourrait Berty et partirent pour Mâcon où cette dernière remplaçait H. Frenay lors d’un rendez-vous. Les Clunisois arrivèrent trop tard : la Gestapo l’avait arrêtée et il n’y avait plus rien à faire.
Transférée à la prison de Fresnes, Berty se pend dans sa cellule pour ne pas parler et les Allemands déclarent son décès le 31 mai 1943. Son corps sera retrouvé dans le cimetière de la prison en mai 1945 et Henry Frenay-alors ministre du Général de Gaulle- fera déposer son corps au Mont-Valérien le 11 novembre 1945.
Chilina Hills[15], petite fille de Berty, aura le mot de la fin : « Berty, pionnière de l’émancipation des femmes est morte trop tôt pour constater que sur les 1038 combattants nommés « Compagnons de la Libération » par le Général de Gaulle, il n’avait honoré que six femmes ! Berty fait partie de ces six femmes… »
L’Eurostar Paris-Londres, décoré spécialement pour le 70ème anniversaire du 18 juin qui fut célébré à Londres, arborait les portraits (de gauche à droite) de Félix Eboué, Charles de Gaulle, Berty Albrecht, Jean Moulin , le Général Leclerc[16].
Clara M, Léa Aujal, Chantal Clergue
[1] En Grande-Bretagne, les femmes de plus de trente ans voteront pour la première fois le 28 décembre 1918.
[2] Missika Dominique. Berty Albrecht, féministe et résistante. Paris : éditions Perrin, coll. Tempus, 2005, p. 67.
[3] Les époux Albrecht ne divorceront pas et Frédéric continuera à secourir sa femme et ses enfants.
[4] Missika Dominique. Berty Albrecht…, p. 76.
[5] Ibid., p. 87. Loi stipulant que l’avortement est strictement interdit et que la contraception est également passible d’une amende, voire d’une peine de prison. En 1942, l’avortement est déclaré « Crime contre l’État ». Les femmes y ayant recouru ou l’ayant pratiqué seront condamnées à la peine de mort.
[6] Ibid., p. 112. En octobre 1935, les troupes italiennes envahissent et bombardent l’Ethiopie. Berty récolte des fonds pour envoyer des ambulances et de l’aide aux Ethiopiens.
[7] Ibid., p. 112-113. Aux côtés de Victor Basch et de Paul Langevin, le comité « lance une vaste campagne de mobilisation et de soutien aux républicains espagnols. »
[8] Assistante sociale auprès des ouvriers.
[9] Après le Bulletin, Les Petites Ailes de France, puis Vérités et enfin Combat, nom également donné à leur mouvement.
[10] Avec l’aimable autorisation de Chilina Hills, petite-fille de Berty Albrecht.
[11] Durant cette période il n’était pas chez lui. En effet, il est alors âgé d’environ 16 ans, élève au Lycée La Prat’s (pendant 1 an car il avouera ne pas avoir beaucoup travaillé) lorsque qu’il est appelé au STO. Il ne veut pas y aller et se procure de faux papiers. Il part travailler chez son oncle.
[12] La maison Gouze ou « villa Romada » se trouve rue Berty Albrecht.
[13] Il s’agit vraisemblablement de De Roujoux car Berty et H. Frenay avaient séjourné au château de la famille De Roujoux avant leur arrivée à Cluny.
[14] Membre du réseau Buckmaster. L’appartement fut loué pour M Tavernier (H Frenay) et sa « secrétaire », madame Moulin, Berty Albrecht.
[15] Nous remercions Chilina Hills pour les renseignements apportés sur sa grand-mère. Vous pouvez visiter son site à l’adresse : http://www.chilina-hills.com/fr/ma_grand_mere-24.html
Berty Albrecht, Laure Diebold (agent de liaison du réseau Mithridate et secrétaire de Jean Moulin, déportée), Marie Hackin (chargée de mission avec son mari, disparue en mer en février 1941), Marcelle Henry (du réseau d’évasion VIC, morte à son retour de déportation), Simone Michel-Lévy (de la résistance P.T.T., morte en déportation), Emilienne Moreau-Evrard (héroïne de la guerre 1914-18, agent du réseau Brutus) sont les six femmes désignées « Compagnons de la Libération ».
[16] http://www.chilina-hills.com/fr/ma_grand_mere-24.html
Merci pour ce bel article, j’ai appris énormément de choses.
Ah, le féminisme a encore de beaux jours devant lui, malheureusement… encore tellement de combats à mener ! Le portrait de ces femmes est stimulant
merci pour ce travail brillant sur la personnalité de Berthy Albrecht . J’ai appris beaucoup de choses. Merci à ceux et celles qui ont travaillé sur ma famille. Un détail concernant mon oncle Joseph. Il a pu quitter le camp de Beaune le Rolande grâce à la complicité d’un gendarme.
Je vous conseille la lecture voire l’achat pour le cdi de la superbe bande dessinée sur la vie de Berty Albrecht : « Femmes en Résistance, n°3, Berty Albrecht » de Ullcer, Hautière chez Casterman.
Merci les filles, plus tard vous pourrez dire, nous avons communiqué avec la petite fille de Berty Albrecht cette grande DAME de la résistance. Vous garderez en souvenir votre rencontre avec Jean Fontray, Serge Moreau.
Enfin, nous arrivons aux histoires vraies de la deuxième guerre mondiale !
Grâce à vous tous de la Prat’S, jeunes magnifiques et vos Professeurs, vous nous faites un cadeau extraordinaire de faire revivre nos parents qui ont donné leurs vies pour leur pays et leurs familles. Vous serez les passeurs de mémoire, pour nous les « enfants » des Déportés (maintenant grands-parents).
Je serais avec vous pendant la première semaine de Mars avec beaucoup d’émotion.
A bientôt. Affectueusement. Fille de Claude Moreau – déporté à Mauthausen-
Nièce de Germaine Moreau -déportée à Ravensbrück
Merci Mady de suivre attentivement, avec quelques Clunisois, le travail des élèves.
Bravo Clara, Léa et Chantal pour cet excellent article, que je reçois aujourd’hui, le 15 février, date de l’anniversaire de ma grand-mère….merci du fond du coeur pour ce travail de mémoire, tellement utile en ces temps difficiles où les valeurs humaines essentielles sont noyées dans la boulimie médiatique et l’égocentrisme politico-économique… le monde reste un monde d’hommes, où le rôle de la femme a hélas beaucoup régressé ces dernières années… le monde a cruellement besoin de nous, le mode de fonctionnement masculin seul mène l’humanité à sa perte : il ne s’agit donc pas de « faire comme les hommes » pour avoir de l’influence, mais de devenir, où que l’on se trouve et quel que soit notre statut, des femmes d’influence qui sachent faire comprendre aux hommes qu’il y a bien plus à gagner à s’enrichir des modes de fonctionnement féminins que de les ignorer. D’ailleurs, il est maintenant prouvé que les (rares) entreprises où les hommes et les femmes fonctionnent ainsi ont de meilleurs résultats (ça c’est une valeur plus masculine, donc les hommes sont contents !), un meilleur épanouissement au travail (valeur plus féminine, les femmes sont contentes), et moins de stress et d’absentéisme. Alors franchement, qu’est-ce qu’on attend !!!! 🙂