« Marcher, penser, l’un ne va pas sans l’autre dit Montaigne : « Mon esprit ne va si les jambes ne l’agitent ». {…} Il y a autant de façon de marcher que de marcheur, et l’on pourrait aussi bien décrire la marche comme une façon de vider l’esprit, ou plutôt de le filtrer, d’écarter le superflu et d’atteindre l’élémentaire. L’élémentaire, c’est à dire au moment où toutes les marches finalement se ressemblent, lorsque le marcheur oublie où, comment et pourquoi il marche. Lorsque, comme le dit joliment Virginia Woolf, « les pensées en marchant sont faites à moitié de ciel ». Lorsqu’il cesse d’être le sujet du paysage et s’y fond dans une cénesthésie qui mélange les odeurs, le paysage, les sons, sa fatigue et sa sueur, et qu’il éprouve cette pesanteur rassurante qui le tient mais ne le retient pas, un pied devant l’autre, dans une instabilité qui réaffirme sans cesse son ancrage dans le sol. »
Avant-propos de Sven Ortoli (extrait),
Marcher avec les philosophes,
Philosophie magazine éditeur, 05/2018